Mafieuses, Pirates, Vengeresse

Publié le 10 February 2019 | CHRONIQUES

 

 

Les Mafieuses – Pascale Dietrich. Éditions Liana Levi, février 2019.


Il y a toujours moyen de s’arranger avec la réalité chez les gangsters. À condition de respecter le code d’honneur, on peut même mener une vie formidable ! C’est en tout cas
ce que Leone Acampora, vieux mafioso grenoblois, a enseigné à sa famille. Michèle et ses deux filles ont donc appris à fermer les yeux lorsqu’elles trébuchaient sur un cadavre ou une valise de cocaïne dans leur joli salon en marbre. Et si, aujourd’hui, Dina a parfois mauvaise conscience, elle espère se racheter en travaillant dans l’humanitaire. Quant à Alessia, pharmacienne inspirée, elle a pas mal d’idées pour moderniser le business paternel. Ainsi va la vie chez les femmes Acampora, entre coups de fusil à pompe et séances de tai-chi. Jusqu’à ce que le vieux Leone, avant de mourir laisse une dernière et terrible instruction : lancer un tueur à gages aux trousses de sa femme, afin qu’elle le rejoigne plus vite dans l’au-delà !
Michèle, Dina et Alessia entament alors une course contre la montre avec un tueur à gages inconnu. Ce sera l’occasion pour les mafieuses de déboulonner un vieux monde machiste et ringard.

Que dire de plus que le résumé ? Le livre respecte son contrat et nous livre exactement ce qu’il promet, ce qui est déjà en soi une très bonne raison de l’acheter.
Ambition capitaliste d’Alessia, amertume et désintéressement de Michèle, dégout progressif de Dina : avec une sensibilité à la Scerbanenco, Pascale Dietrich pose les regards différents de trois femmes et triangule froidement un monde masculin qui sent définitivement la naphtaline. Trois femmes différentes, unies par le sang, le sang familial et celui des cadavres.

Je me souviens d’un fait divers à Marseille, un règlement de comptes qui m’avait fait très forte impression, petit. Avant de partir à toute allure, un motard avait criblé de balles un type dans sa voiture qui attendait à un feu rouge. Ça arrivait – et arrive encore souvent. Mais cette fois-là, du casque de moto, dépassaient de longs cheveux noir. Un ami de mes parents, le journal grand ouvert devant lui, avait marmonné à lui-même “Alors là, ça change tout“.
Tout au long de sa lecture, Les Mafieuses m’a rappelé cette anecdote.

 

 

Femmes Pirates, les écumeuses des mers – Marie-Ève Sténuit. Éditions du Trésor, 2015.

 

Loin des stéréotypes, le rôle des femmes en piraterie ne s’est pas toujours limité au ” repos du guerrier “, bien au contraire. Embarquez aux côtés des écumeuses des mers, ces femmes pirates éprises de liberté et prêtes à défier l’humanité tout entière, et découvrez les destins extraordinaires de ces filles de l’ombre, parfois travesties, souvent impitoyables et toujours aventureuses, qui surent s’imposer dans l’univers essentiellement masculin de la flibuste.

Les Écumeuses des Mers dresse donc le portrait de certaines femmes pirates, bien loin de l’image populaire de la piraterie dans l’inconscient collectif, à base de Capitaine Crochet, Jack Sparrow, rhum, perroquet Tropico et camaraderie de matelots virils et édentés.
Sténuit revient – parmi d’autres “corsaires en corsage“- sur Alfhild de Gotland, Lady Killigrew d’Awernack, les incontournables Mary Read et Anne Bonny mais également Ching Yih Saou ou Laï Cho San et nous fait voyager de Finlande en Chine en passant par la France. Tout y est captivant et extrêmement documenté. Super idée : en début d’ouvrage, une carte du monde nous indique qui a fait quoi, et où. Les récits sont tous plus terribles les uns que les autres, plein de sang, de crasse, de maladies et de larmes, mais également de cœurs indomptables et d’absolue liberté.

On retient surtout celui de Jeanne de Belleville, proprement apocalyptique. Épouse du Seigneur de Clisson Olivier IV, elle devint corsaire pour venger son époux bien-aimé, accusé à tort de trahison et condamné à la décapitation – sans procès – par le roi de France, Philipe VI de Valois. Jeanne de Belleville, dévastée à l’annonce de la nouvelle, agira vite et “celle que tout le monde tenait pour une blanche colombe va se transformer en une harpie sanguinaire à demie folle de haine, et en même temps dangereusement lucide”.
Après avoir emmené ses fils contempler la tête coupée du père, afin “de regarder l’horreur en face pour y puiser sa détermination” elle embarque 400 soldats et cavaliers et va méthodiquement raser tous les châteaux appartenant à des partisans de Valois, en y massacrant tous les occupants. Le temps que la nouvelle arrive aux oreilles des intéréssés, elle va ainsi piller en un temps record six châteaux (!), laissant derrière elle autant de victoires souillées par des actes de cruauté et d’hécatombes sans pitié.
Comme l’écrit admirablement Sténuit – qui semble elle aussi davantage touchée par celle qu’on surnommait La Tigresse bretonne – “seule la mer pouvait être le théâtre digne de recevoir son cri tragique” et c’est sur l’eau que continuera pendant des mois le désespoir destructeur perpétré par Jeanne de Belleville.
Mais je ne vais pas tout raconter non plus, la suite vous attend dans le livre. Vous pouvez également écouter l’auteure en parler sur RTL.

 

 

Dirty Week-End – Helen Zahavi. Éditions Libretto, 2012.

Lors de sa sortie en 1991, le parlement de Londres a voulu interdire ce roman, accusé d’immoralisme. Aurait-il eu la même volonté si le personnage principal avait été un homme ?
Le livre d’Helen Zahavi est à l’Angleterre ce que Baise-moi est à la France ou A Gun for Jennifer aux States : un uppercut féministe radical gorgé de haine et de ras-le-bol.
Tous les hommes y sont dégoutants, glaireux, sales, obsédés, tordus. Face à eux, Bella, qui s’est réveillée ce matin et s’est aperçue qu’elle n’en pouvait plus.

Dirty Week-end sonne souvent comme un rape-and-revenge mais c’est davantage du côté du vigilante qu’il flirte, façon Justicier dans la ville (la saga Deathwish en v.o). Logique donc, que Michael Winner l’ait adapté en film, avec l’aide de l’auteure au scénario. Je me demande si Yann Gonzalez n’a pas fait un clin d’œil à Dirty Week-end avec ce clip dont je parlais il y a quelques mois.
Souvent, Zahavi s’adresse au lecteur : “vous la trouvez pathétique ?“, “la prochaine fois que vous voyez cette scène, pensez à Bella“, le forçant à prendre part au carnage cathartique perpétré par l’héroïne. Le style de Zahavi est à l’image de Bella : sec, frontal, sans fard ni pitié.
On referme le livre épuisé avec l’envie d’ouvrir grand les fenêtres, de respirer un bon coup. Alors on allume la radio et on tombe sur Weinstein, on ouvre un journal et on tombe sur #metoo.
Pour l’instant, Bella est donc toujours là. Puisse-t-elle un jour définitivement disparaître.

 

 

Tous ces livres sont disponibles en stock, sur commande ou en ligne, dans les librairies indépendantes. 

 

 

 

 

 

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