Sur le Continent, la Reine du Monde organise tous les quatre ans un tournoi appelé « Queen’s Blade » afin de déterminer qui sera sa remplaçante pour les quatre années à venir. Cette compétition se déroule à Gainos, où de nombreuses combattantes arrivent de tout le continent pour prétendre au titre de Reine ; et toutes rêvent d’y accéder pour des raisons bien différentes…
De site en site, de forum en forum, le constat semble sans appel et les apprentis critiques experts dans l’art de mettre des notes imbéciles s’en donnent à cœur joie lorsqu’il s’agit de l’éro-anime (série animée à caractère érotique) de combat Queen’s Blade :
“Aucun intérêt”, “le scénario est un mensonge”, “débile”, “pourri de chez pourri”, “à éviter de regarder à part si on a l’esprit tordu”, “aucun scénario, que du fan service et du ecchi totalement gratuit” (manga à connotation sexuelle) etc, etc…
Alors d’accord. Soit. Mais quelque chose m’échappe.
On a bien le droit de rouspéter qu’un cake aux olives soit trop cuit, mais peut-on se plaindre qu’il contienne des olives ? Est-ce bien cohérent de se lamenter des jouets qui parlent dans Toy Story parce qu’un jouet normalement ça parle pas, ou de constater la présence de mots dans un livre ?
Je veux dire, comment reprocher à un programme ouvertement présenté comme érotique… qu’il soit érotique ? Que ses héroïnes y soient souvent dénudées ? Pourquoi fulminer contre la légèreté d’un scénario lorsque celui-ci, alors qu’il est diablement efficace, ne s’est jamais targué d’être profond ?
Car, oui, dans Queen’s Blade les filles sont souvent nues, ou partiellement nues. C’est un parti-pris de la série, qui appartient au sous-genre cité plus haut, l’Ero-Anime.
Bon, avec un peu d’observation on aurait pu se rendre compte dès l’affiche qu’on n’allait pas s’asseoir devant un documentaire ; on aurait aussi pu observer le (-16) qui apparaît un peu partout mais bref, s’en tenir à ça c’est surtout omettre le reste, et ce reste, en l’occurrence, fait toute la différence car Queen’s Blade est avant tout une galerie de personnages féminins tous plus passionnants les uns que les autres, comme jamais je n’en avais vu jusque là ! Un véritable bataillon d’héroïnes mises en scène avec rigueur et respect au fil d’épisodes qui prennent le temps de s’arrêter sur chacune d’elles avant de les faire combattre. Et lorsqu’on observe batailler Listy la “Gentille voleuse du désert” qui veut devenir reine pour sauver de la démolition l’orphelinat dans lequel elle a grandi, ou Cattleya la forgeronne qui espère accéder au trône afin que son mari qui ne donne plus signe de vie depuis des lustres la reconnaisse et la rejoigne enfin elle et leur fils, certains n’y voient donc que du “fan service et du ecchi” sans se dire qu’il s’agit également de personnages animés d’espoirs et de peurs qui se battent pour quelque chose auquel ils croient, ce qui en soi est toujours émouvant. Alors quoi ? La nudité de ces mêmes personnages “annulerait” la louabilité de leurs motivations ? Lorsque Tomoé réalise durant un combat dans l’épisode 14 qu’il ne faut pas s’arrêter à l’apparence pour juger une personne (elle remporte d’ailleurs le combat) ça parait bête et naïf, mais ne s’adresserait-t’elle pas en fait aux spectateurs ? Gardons-nous de juger trop hâtivement les combattantes du Queen’s Blade : elles sont bien moins nues que la plupart d’entre nous. Je m’explique.
Carte du monde, armée de squelettes, forteresse maléfique à la Sauron, ciel rouge, batailles d’éclairs, forêt elfique… mais également Japon féodal ou Égypte antique : Queen’s Blade n’oublie aucun des ingrédients indispensables à un récit d’Heroic Fantasy réussi !
D’abord, au delà de ces seins que nous ne saurions voir, une observation : dans la galerie des personnages riche et variée de Queen’s Blade, aucune combattante ne ressemble à une autre, intérieurement ou extérieurement. Echidna l’elfe sulfureuse, Tomoé la prêtresse, Menace la Cléopâtre déchue, Nowa la gardienne de la forêt, Nanaël l’ange à l’aile droite trop courte, Claudette la noble illégitime… toutes sont légitimes à participer au tournoi, toutes ont de bonnes raisons de prétendre au trône, et leurs histoires et leurs aspirations sont telles qu’il est difficile pour le spectateur de prendre parti pour l’une ou l’autre. Quelle merveilleuse idée d’avoir consacré la première saison à la présentation et au développement des personnages, pour ne dédier la seconde qu’aux différents duels !
Ainsi, lorsqu’un combat a lieu, bien plus qu’un combat, c’est à la confrontation de deux histoires, de deux personnalités et de deux avenirs que nous assistons, mais également à la certitude d’une inévitable tragédie, la perdante tirant fatalement un trait irréversible sur son idéal, cet idéal qu’on trouvait si émouvant quelques épisodes auparavant. L’astuce scénaristique est maline et fonctionne ici à merveille, frissons garantis.
Autre choses à noter, le parcours initiatique du personnage principal Leina, une noble qui participe au tournoi afin de comprendre le monde qui l’entoure et connaître enfin le sentiment d’exister. Leina est à ce point inexpérimentée du monde extérieur qu’elle s’urine dessus de terreur lors de sa première confrontation durant les premières minutes de la série. Tout en étant crédible d’un point de vue sportif, une scène est importante à son sujet : lorsqu’Echidna l’entraîne, elle lui demande de s’enduire au préalable d’une sève aux propriétés intéressantes : une fois durcie, elle permet de recevoir sans risques des coups meurtriers de la part de son adversaire ! La sève absorbe le coup et magie, on a la sensation du choc et même celle de mourir mais sans le résultat. Par opposition, cette sensation de perdre la vie fait réaliser à Leina ce qu’est la sensation de vivre, et elle sort grandie et changée de ce combat.
L’érotisme sensuel de la scène (des filles nues enduites de sève) n’est pas gratuit et trouve une justification sportive essentielle pour la perception que l’héroïne aura de son propre corps. J’ai regardé la série avec deux amies, dont l’une sportive d’assez haut niveau en Jiu-Jitsu Brésilien, rouée aux compétitions. Elle me disait qu’un tel produit changerait radicalement la face de bien des disciplines martiales car il permettrait un entraînement dans des conditions réelles. Bras cassé, jambes cassée, fractures, voire évanouissement ou même mort… On évite évidemment ça lors qu’un entrainement, mais la peur physique de sentir son corps altéré par le coup fatal d’un adversaire est pourtant essentielle pour préparer un tournoi. C’est comme une façon d’apprendre à mourir car un entrainement ne sera jamais vraiment efficace si on ne peut y pratiquer des coups meurtriers. De la même façon, en recevoir en pleine compétition sans savoir comment les encaisser fera à coup sûr tourner le combat au drame. Et dans cette scène, Leina apprend littéralement à mourir.
La Frazettienne Claudette, Générale de la Foudre, Générale de la Nuit.
D’autres passages de nudité servant le récit arpentent la série. Par exemple, lorsque la très pudique Tomoé est déshabillée de force par Irma, l’heure n’est plus aux boing-boing mamelonnaires régressifs et le personnage est clairement montré comme violenté dans son intimité, alors qu’elle ne fait qu’ouvrir doucement le haut de son kimono, ce qui n’est rien en comparaison de bien d’autres moments outranciers de la série. Qu’une des guerrières s’amuse à montrer ses fesses est une chose, qu’on en force une à se dénuder en est une autre, et la ligne rouge est clairement définie.
Idem lors d’une très belle scène de l’épisode 13. La puissante Listy sort d’une douche bouillante (forcément) dans le plus simple appareil et reçoit une lettre de l’orphelinat qu’elle espère sauver en remportant le tournoi. Le contenu de la missive est si terrible que Listy se met la main sur les yeux et laisse échapper une larme à travers ses doigts tremblotants. Difficile lors de ce passage d’ignorer la portée symbolique de la nudité de ce personnage d’habitude grande gueule et frondeur : c’est la première fois qu’elle apparaît intégralement nue, c’est également la première fois qu’on la voit pleurer.
Un autre exemple encore, lorsqu’Elina, par un quiproquo lors d’un échange avec son adversaire (Tomoé) pendant un combat, imagine que cette dernière a couché avec Leina.
Sœur cadette de l’héroïne principale Leina, la (trop) fière Elina (on notera l’anagramme) est un personnage compliqué. De par son éducation de noble coupée du monde, la mort de leur mère alors qu’elle était toute petite et la peur permanente de décevoir un père tyrannique, tous ses sentiments se sont tournés pêle-mêle vers sa sœur ainée Leina, au point d’en devenir amoureuse de façon obsessionnelle. Folle de jalousie en imaginant une autre goûter au corps de Leina qu’elle considère comme sa propriété, elle s’emporte, perd ses moyens et perd donc le combat. Pour elle qui ne combattait quasiment qu’en déstabilisant son adversaire par le verbe, c’est l’arroseuse arrosée. Le quiproquo permet une très brève scène coquine et en dit long – dans une impressionnante économie de moyen – sur la personnalité d’Elina.
Il existe donc une sorte de hiérarchie du polisson assez claire dans Queen’s Blade. Une façon habile de mettre en scène la nudité qui parfois sert le récit, parfois pas, sans jamais toutefois le desservir. Mais dès lors que cette nudité est utilisée comme ressort dramatique ou élément de narration (les scènes citées plus haut), peut-on continuer à affirmer qu’elle est bel et bien totalement gratuite ?
Et s’agit-il vraiment d’érotisme ? Pas si l’on s’en tient au Larousse, qui le définit comme la description et exaltation par la littérature, l’art, le cinéma, etc., de l’amour sensuel, de la sexualité. Il n’y a ni amour sensuel si sexualité dans Queen’s Blade, simplement de la nudité. Et c’est avant tout dans une mécanique de strip-tease que les combats sont mis en scène, le suspense d’un duel résidant autant dans son potentiel dramatique que dans la façon dont l’effeuillage des héroïnes va être réalisé. C’est parfois très con mais la plupart du temps assez drôle, cet humour potache toujours plus inventif au fil des épisodes désamorçant de façon burlesque les moments sérieux sans jouer la carte du solennel. Alors on aime ou pas, c’est à prendre ou à laisser, mais ce parti-pris davantage grivois qu’érotique fait pleinement parti de l’identité du show, et nombreuses sont les séquences où la série nous fait pousser des “Rooooh…” faussement outrés alors que nos yeux sont encore embués de l’échange émouvant qu’ont eu deux combattantes l’instant avant.
La générique de fin de la première saison présente de façon surprenante les héroïnes en toute intimité. Une intimité du corps mais également l’intimité de moments doux loins des combats. Nues et éthérées dans des poses figées, elle apparaissent tout à coup comme les figures religieuses d’un vitrail. II fallait oser !
Car à côté de ça, lorsque que Listy tombe dans le piège perfide de la Reine Aldra on a peur pour elle, on croise les doigts pour qu’elle s’en sorte sans trop y laisser de plumes. Lorsque Tomoé explique à quel point la corruption de son gouvernement la dégoute et qu’accéder au trône est la seule garantie tangible pour elle de rendre son peuple heureux, comment ne pas être touché par ses mots ? Lorsque Leina pleure d’envie ses sœurs de combat d’avoir des idéaux si nobles, elle qui n’a jamais rien connu et se sent si vide depuis sa naissance, protégée dans le cocon-prison de son château, comment de pas avoir envie de la voir remporter le tournoi, puis de la voir parcourir et découvrir le Continent ?
Et que dire de la tragique Nyx, jeune fille d’une telle gentillesse qui semble vivre une relation toxique (c’est un euphémisme) avec son arme (!), sorte de créature gluante qui s’infiltre de force en elle afin de la rendre puissante mais également agressive et défigurée de colère ?
Ou du cœur brisé de Shizuka, qui ment à l’amour de sa vie xxxxxx (pas de spoil) afin de se faire détester irrémédiablement d’elle, simplement pour que cette dernière apprenne à se battre en mettant de côté ses sentiments, et lui donner ainsi une chance supplémentaire de gagner ? Ou encore de la forgeronne Cattleya qui accepte de combattre tout en portant son très jeune fils d’un bras, non car c’est “son fils” mais car il a argumenté pour l’accompagner dans ce combat, et que tout petit ou pas, danger ou pas, elle considère ses arguments comme recevables ? (au passage, on peut évoquer le physique de Cattleya, rarement représenté : elle est aussi grande que large et musclée (voir photo plus haut))
Inutile de tout énumérer, il y a ce genre d’exemple pour chaque guerrière, chacune d’elles possédant sa propre histoire, ses propres motivations, son propre caractère. Certaines sont pleines de morgue (Echidna, Elina, Menace, Aldra) ou de rigueur (Claudette, Tomoé), quand d’autres sont d’une gentillesse sans limite (Tomoé, Leina, Cattleya). Certaines ne pensent qu’à festoyer (Listy, Nanaël), d’autres à prier du soir au matin (Melpha) ou d’autres encore à mettre simplement des bâtons dans les roues de leurs concurrentes (Melona, Airi)…
Devant cette variété de personnages d’une telle richesse, l’empathie, l’implication et l’identification du spectateur fonctionnent, réveillées par une écriture saisissante d’efficacité, qui ne se borne pas à faire vivre les protagonistes mais les fait exister. Et d’une façon similaire à Faster Pussycat ! Kill ! Kill ! dans lequel Russ Meyer magnifiait par des cadrages osés le sulfureux et destructeur gang de filles de Tura Satana, la nudité de Queen’s Blade, finalement, devient secondaire, les personnages n’étant jamais définis par celle-ci. Elle n’est qu’un élément parmi bien d’autres, qui semble prendre de la place alors qu’il n’en est rien : au final, seule compte la façon dont les combats, les différentes péripéties qu’elles vivent et les interactions qu’elles ont entre elles vont faire grandir les héroïnes du récit, pour mieux les emmener là où leurs cœurs et leurs personnalités le veulent. C’est brillant.
————————
Je pourrais continuer encore et encore mais voilà, il s’agit là de quelques pensées après le visionnage des deux premières (courtes) saisons de Queen’s Blade. Il y aurait beaucoup d’autres choses à dire : comparer par curiosité le parcours de Leina vis à vis de Joseph Campbell, ou s’interroger sur le rapport Nudité/Pureté ; Nudité/Vérité qui semble parcourir la série, bien davantage que Nudité/Rinçage d’œil…
Malheureusement, la suite de la série n’arrive pas au niveau et pêche par une écriture peu inspirée qui semble faire avancer l’histoire au pifomètre malgré quelques personnages mémorables (Yuit et Vante, une petite elfe journaliste accompagnée d’une émouvante garde du corps-automate qu’il vaut mieux ne pas chatouiller. Elles rappellent d’ailleurs beaucoup le couple Katyusha et Nonna de Girls und Panzer).
En même temps, difficile d’égaler un scénario d’une telle efficacité. Le contrat était simple et l’unité de temps-lieu-action respectée à la lettre : 1) Un tournoi tous les quatre ans 2) des combattantes en route vers la Capitale 3) des duels pour élire une reine. Mais peu importe que les suites soient ratées ou simplement mauvaises, ces deux saisons se suffisent à elles-mêmes et sont comme un petit monde en soi.
Héroïnes shakespeariennes, combats dantesques, armes légendaires, contrées lointaines, destins tragiques, ennemis redoutables, monstres titanesques, quête initiatique…
Convoquant autant l’univers de Tolkien que celui du Hentai, empruntant autant au chambara qu’au péplum, alternant avec une fluidité confondante vaudeville paillard, mythes grecs et combats en arène ambiance concert de Metal, le souffle épique de Queen’s Blade est une authentique prouesse, une spectacle grandiose qui honore de tout son cœur sa promesse décomplexée d’Héroic-Fantasy exclusivement féminine.
Portée par une bande originale fracassante qui procure aux guerrières une dimension quasi divine (on a parfois l’impression d’entendre Nightwish ou Epica lorsqu’elles combattent !), la série, tantôt époustouflante, tantôt poétique, tantôt sidérante d’humanité, ne cesse pourtant jamais d’être légère et amusante tout en réussissant le pari incroyable de proposer un programme ambitieux au travers d’un format court on ne peut plus balisé – deux petites saisons d’un anime érotique. Et si le côté too much assumé aurait pu faire peur, au diable : sous couvert de série polissonne, et parfois au sein même de scènes potaches vraiment limites, Queen’s Blade réalise l’exploit de faire preuve d’une finesse déconcertante, et s’autorise malgré la durée imposée du programme une construction patiente de son univers, pour mieux y faire grandir sa multitude d’héroïnes, chacune autant que les autres ; chacune avec autant d’attention ; chacune avec le même amour, le même respect et la même considération.
Alors chapeau, c’est tout simplement admirable, et sur bien des points, Queen’s Blade est un chef-d’œuvre, un chef-d’œuvre à couper le souffle !