7 questions à Nathalie Gassel

Publié le 26 October 2017 | INVITÉ·E·S

 

Poétesse, photographe, écrivaine… et culturiste : Nathalie Gassel.
A peine adolescente, elle se sent déjà étrangère aux codes de féminité imposés par nos sociétés et découvre la musculation : c’est la révélation. Une discipline rigoureuse grâce à laquelle elle va au fil du temps déconstruire son corps pour le reconstruire selon sa propre féminité, ses propres codes, centimètre par centimètre. Patiemment, elle le (re)découvre, le façonne, l’expérimente, le questionne, le confronte aux autres corps, l’explore. Ces explorations, forcément, dépassent le cadre de la chair, remettent à l’heure les pendules des genres, des sens(sex)ualités, des séductions, des rapports humains. Mieux, elles parviennent, tout en nous rappelant que nous sommes des mammifères à sang chaud, à interroger notre société, pointent du doigt ses incohérences, son hypocrisie, sa lâcheté, sa volonté à tout cloisonner, à imposer ses stéréotypes vains, insensés et dépassés.

De ces questions, Nathalie Gassel tire des textes bruts, poétiques, bestiaux, fiévreux, une observation du monde suintant les fluides corporels, aussi mélancolique qu’auto-disciplinée, aussi distante qu’organique, comme une extra-terrestre observerait une planète étrangère, avec pourtant davantage de finesse, de bienveillance et de considération pour cette planète que la plupart de ses habitants, attentive au moindre battement de ses veines, à la plus infime modification de sa forme.
Ses deux premiers livres, Eros Androgyne (2000) et la fiction/expérimentations Musculatures (2001) sont des textes à fleur de peau, par moment éprouvants à lire, d’une troublante et parfois amère (mais nécessaire) honnêteté, dans lesquelles elle apparaît tantôt en impératrice gargantuesque vautrée sur des montagnes de corps qu’elle picore au hasard, suçote et jette une fois leurs énergies vidées, tantôt comme une panthère nocturne rôdant le long de murs pisseux des mondes interlopes, comme échappée d’un zoo, en quête de repères, perdue, éperdue mais déterminée, confrontant de son corps à celui des autres à la recherche d’un noyau de chaleur, d’une vérité intime dans laquelle elle pourra se reposer quelques heures avant de devoir repartir dès les premières lueurs, qu’elle le veuille ou non.

Nathalie Gassel intervient en mai 2016 dans l’émission radio Mauvais Genres, “L’amour des femmes puissantes ou Éloge de la viragophilie : rencontre avec Noël Burch” dans laquelle elle était interviewée. On la retrouve dans l’Encyclopédie Pratique des Mauvais Genres de Céline Du Chéné aux superbes éditions Nada.
On n’aurait pu trouver meilleur double sens : elle représente la lettre B… comme Bander.

Lorsque je l’ai contacté pour le site, elle m’a directement répondu qu’ayant forgé son corps comme une arme, tout cela faisait sens pour elle.
Forger son corps comme une arme. Nous y voilà.

 

Toutes les photos proviennent du site de Nathalie Gassel

 

L’Encyclopédie Pratique des Mauvais Genres est disponible dans toutes les librairies. Pour les parisiens, nous vous recommandons nos préférées : la doyenne Delamain, l’underground Le Monte-en-l’air et l’engagée Quilombo.

 

 

Entretien avec Nathalie Gassel

 

 

Même si vous n’êtes pas à proprement parler “armée”, vous dites que vous concevez la construction de votre corps comme la création d’un corps armé. C’est à dire ?
J’ai commencé ma pratique sportive par la boxe taï. Dans les arts martiaux nous nous armons de notre corps, nous le travaillons. J’ai continué avec la musculation : et symboliquement mais aussi concrètement, les muscles sont une armure et une puissance. Force, puissance, impact de l’image où le corps ruisselle comme un objet – sujet dessiné comme la présence d’un érotisme provocateur, vigilant et combatif. Non dans le contenu toujours maitrisé mais dans le culte formel.

Dès 20 ans, lors d’un rapport amoureux, il fallait que vous soyez la plus forte*. L’objectif – s’il y en avait un – était-il, comme lors d’une lutte, de “neutraliser” votre partenaire ?
L’objectif était de jouir d’un plaisir fait de contrôles, de pouvoirs mais toujours dans la bienveillance. C’est l’extériorisation d’une exultation où l’on prend toute son ampleur en se montrant érotiquement à l’autre dans la maitrise de sa puissance et l’on adore subjuguer et ressentir les émotions de faiblesses et fragilités du partenaire, comme autant d’émotions fines qu’il nous offre pour la beauté de celles-ci.

Sous l’angle de l’amour physique et du rapport aux corps – le votre, les autres – vous percevez-vous comme ce qu’on appelle une “femme fatale” ?
J’aime ce concept, parce que j’aime la séduction. J’ai envie de reprendre une phrase qui m’a séduite dans Le Secret de Véronika Voss de Fassbinder : « J’aime séduire les hommes sans défense. Vous êtes sans défense, n’est-ce pas ?»

Votre démarche brouille les pistes, questionne le genre et ses représentations. Vous dites par exemple vous étiez “un mutant. […] Le mâle qui contraignait ses hommes comme des femmelettes”*…
Oui, ma façon d’habiter la « féminité » à toujours été de la relier à ma virilité. Je ne dénigre rien, il y a du féminin et du masculin conjugué, je conserve une esthétique du féminin et de raffinements en l’augmentant d’un « rentre-dedans » soudain et jubilatoire, tout en force.

… c’est également une démarche de déconstruction/reconstruction absolument féministe. Sortir du schéma imposé de “féminité” pour créer dans un premier temps votre propre “vérité physique”…
Oui, mon corps est construit. On se construit en s’accueillant dans son essence. Mes essences sont plurielles, androgynes, je me relie à mon être profond en en acceptant les expressions qui ne faisaient pas partie de la culture de la féminité.

Qu’est-ce qui vous choquait précisément, dans les représentations des corps féminins et dans les codes de séductions en vigueur ?
La soumission, la docilité, les infirmités imposées : toute une série de préjugés qui m’ont ennuyé, tel que le fait qu’un homme dans un couple doive être plus grand et plus fort qu’une femme, ou plus en vue, ce sont autant de limitation de puissance que l’on impose aux femmes.

Mise en situation : Cas de force majeure, votre corps est indisponible et vous devez choisir une arme, n’importe laquelle. Vous choisissez laquelle et pourquoi ?
En fait, je n’y connais rien…. je choisirais beauté et efficacité.

 

*extraits cités dans l’Encyclopédie Pratique des Mauvais Genres

 

Bibliographie :

    Eros androgyne, Éd. de L’Acanthe, 2000 ; réédition Le Cercle poche, 2001, préface de Pierre Bourgeade
    Musculatures, Les Éditions Le Cercle, Paris, 2001 ; réédition, Le Cercle poche, 2005, préface de Sarane Alexandrian
    Stratégie d’une passion, Éd. Luce Wilquin, 2004 préface de Pierre Mertens
    Construction d’un corps pornographique, Les Éditions Cercle d’Art, Paris, 2005
    Des années d’insignifiance, Éd. Luce Wilquin, 2006
    Récit plastique, textes et photographies, Éd. Le somnambule équivoque, 2008
    Abattement, Éd. Maelström, 2009
    Ardeur et vacuité, Ed. Le Somnambule équivoque, 2012, Postface de Pierre-Dominique Schmidt.

 

Revues et collectifs :

    Picturing the modern amazon Newmuseumbooks, Rizzoli International Publications, New York. 1999.
    Le Labyrinthe des apparences Ed. Complexe. 2000. Université de Bruxelles.
    Je t’aime. Question d’époque Ed. Complexe. 2002. Université de Bruxelles.
    Argent, valeurs et valeur Ed. Complexe. 2004. Université de Bruxelles.
    L’obscénité des sentiments, Ed. Le Cercle d’Art & Université de Bruxelles, 2005.
    Théorie et pratique de la création, Les Cahiers internationaux du symbolisme. 2005
    La visite est terminée, photographie et texte, Ed. La Trame, Bruxelles, 2006
    Marginales, n° 262, Sous les clichés la rage, photographie, 2006 Ed. Luce Wilquin, Belgique
    Action Poétique, n° 185, Belges et Belges, septembre 2006, Paris.
    Mode, photographie et texte, Ed. Le Cercle d’art & Université de Bruxelles, Paris, 2008
    L’Encyclopédie Pratique des Mauvais Genre, Ed. Nada, 2017

 

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