Golden Girl and the Guardians of the Gemstones est une ligne de jouets éphémère commercialisée aux USA par Galoob pendant environ 2 ans, entre 84 et 86, d’après une idée de Leisure Concepts. Le succès des très récentes figurines Maitres de l’Univers et du film Conan battent leur plein et Galoob voit gros, très gros pour le lancement de ses téméraires aventurières : une gamme de onze figurines, des tonnes de tenues spéciales vendues séparément, des destriers avec ou sans char de guerre, un palais etc. Les mises en scène des poupées pour les publicités sont hyper chiadées et parallèlement, livres, lunchbox Thermos, jeu de société, romans, livres illustrés, mugs (très jolis), albums à colorier, puzzles, calendriers, déguisements, bijoux fantaisie, montres et même sac de couchage (!) inondent le marché. Galoob fait appel au renommé Ken Barr pour les illustrations officielles et prévoit un dessin animé… qui ne verra jamais le jour, l’échec de la gamme coupant l’herbe sous le pied de ce programme probablement palpitant.
En France, la série sort sous le nom Les Aventurières d’Argonia, Argonia étant le royaume dans lequel elles vivent, et c’est Orli Jouet qui s’occupe de commercialiser ces courageuses guerrières apparues peu de temps AVANT la puissante She-Ra, Princesse du pouvoir de Mattel (Barbie), en ne se limitant toutefois qu’à ce qui touche directement aux figurines : les amusantes tenues spéciales, les montures et enfin le Palais des Joyaux, résidence Tony Montanienne aux 1000 brillances de Golden Girl et son équipe. Pour contrebalancer l’absence de merchandising pur, la pression est mise sur Karen Cheryl – Madame Hugo Délire – choisie comme ambassadrice Golden Girl. Un 45 tours est enregistré (contrairement aux USA !), un fanclub officiel est lancé, des shows télé sont produits, mais en plein boom Dorothée, difficile d’imposer au PAF une seconde figure féminine dans un univers à priori enfantin.
“A priori” car au delà de ses teintes rosées – marketing oblige, l’univers d’Argonia n’étant pas particulièrement rose en soi -, le concept de Golden Girl imaginé par Leisure n’est pas si enfantin qu’il en a l’air. Au contraire, il est diablement novateur voire carrément culotté : proposer aux jeunes filles des poupées qui changent de la traditionnelle Barbie, en leur permettant de s’identifier à autre chose qu’une secrétaire ordonnée, une maman/épouse soumise ou une béate brosseuse de chevaux. En l’occurrence : une super guerrière toute d’or vêtue, dans la lignée de l’imposante Valeria/Valkyrie du Conan de John Milius.
La publicité anglaise d’époque annonce clairement la couleur. Deux gamines discutent pendant leur cours de gym (la même pub existe pendant un cours de patins à glace) :
– “Quand je serai grande, je serai acrobate” dit la première.
– “Et moi je participerai aux Jeux Olympiques” surenchérit son amie.
Leur coupant presque la parole, une troisième fille déboule comme une tornade après une pirouette digne d’un ninja, se dénoue les cheveux (détail aussi discret qu’important) et lance “Je serai Golden Girl !“. C’est dit ! Sur l’échelle de l’ambition, devenir Golden Girl est plus prestigieux que d’être sélectionnée aux Jeux Olympiques ! Sois bénie jeune fille ! Le catalogue JouéClub de 1985, à raison, claironne : “Golden Girl, premier univers fantastique des petites filles !” ; “Golden Girl, un monde nouveau qui a enfin ses héroïnes !”.
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Alors quid de ce nouvel univers fantastique ? Comme d’habitude, il y a d’un côté les gentilles et de l’autre les vilaines (bien plus marrantes évidemment). D’un côté Golden Girl et sa bande toute aussi redoutable qu’elle, les fameuses Gardiennes des Pierres Précieuses du titre : Saphir, Rubis, Onyx et Jade. De l’autre, les Forces du Mal dirigées par la belliqueuse Reine Dragon et ses sœurs d’armes : Le Vautour, Le Papillon de Nuit et La Sauvage ! (On notera au passage qu’à 5 contre 4, le combat est un peu inégal)
Toutes ces combattantes sont dotées des traditionnelles spécialités qui les rendent uniques : Rubis est experte au tir à l’arc, Onyx peut appeler les animaux pour qu’ils lui viennent en aide, Le Papillon de la nuit peut voler et changer de couleurs pour se confondre avec l’environnement, La Sauvage est une survivaliste chasseresse rompue au maniement de la hache, etc.
Mais là ou She-Ra n’incarnera ni plus ni moins que le pendant féminin de Musclor propulsée dans un univers testostéroné déjà existant, savante tactique commerciale pour que filles et garçons jouent ensemble au sein de ce même univers dans des rôles bien définis (d’autant qu’on apprendra que She-Ra et Musclor… sont frère et sœur, tiens donc !), les Gardiennes, elles, n’appartiennent à aucun univers connu à part le leur. Leur monde est certes visuellement bien calibré – coincé quelque part entre les bonbons Arlequin et la Grèce Antique – mais c’est un monde tout de même inédit. De plus, elles incarnent seulement ce qu’elles sont : des guerrières dans un monde de femmes. Car oui, et c’est là toute la folie (et la malédiction) du projet : Golden Girl and the Guardians of the Gemstones – c’est assez exceptionnel pour insister – est un monde guerrier à 90% féminin !
90% car c’est sous leur égide que se réfugient les deux seuls personnages masculins de la gamme. Deux hommes en tout et pour tout, le minimum syndical ! Et qu’il s’agisse du très “drag” Prince Kroma ou du patibulaire et très “bear” Ogra (l’oreille attentive notera que les deux sobriquets, Kroma et Ogra, se terminent en A, lettre généralement utilisée en fin de prénom féminin) ils ne sont rien d’autre que des faire-valoir. Car si Prince Kroma prête main-forte aux Aventurières d’Argonia pour empêcher la cruelle Reine Dragon de mettre la main sur la Pierre Magique détenue par Golden Girl, ce sont Ogra et ses barbares qui épaulent la Reine Dragon et ses Forces du Mal afin qu’elle s’empare de ladite Pierre, qui lui permettrait – je vous le donne en mille – de devenir la boss du royaume d’Argonia ET DONC d’écraser définitivement Golden Girl ! Un scénario en béton, idéal pour d’interminables bastons de saloon, le but de l’une et l’autre, davantage que de torpiller une pierre qui brille dans la nuit, étant surtout de claquer le beignet à sa rivale. Relevons que comme dans la Bible (puisqu’il est question de scénario en béton) on peut noter dès le départ une injustice, et ce à nouveau envers les méchantes : La Reine Dragon est une déchue d’Argonia ! Elle ne démarre pas vraiment sur un pied d’égalité avec Golden Girl mais passons, et faisons rapidement un tour de l’histoire, pas hyper originale en soi mais qui a le mérite de contenir quelques détails intéressants.
Royaume d’Argonia. Le Roi meurt. Aucune mention d’une mère, mais il a deux filles : la bienveillante Solaria et la malhonnête adepte de magie noire Reine Dragon ! Les sœurs doivent s’affronter pour prendre la relève du royaume. C’est bien sûr Solaria qui gagne. Elle obtient la “Gemstone” qui valide sa victoire et est indispensable pour protéger Argonia. La Reine Dragon, amère et contrariée, entraine sa sœur dans un piège et la laisse pour morte. Cependant, nulle trace de la pierre !
Parallèlement, très loin d’Argonia, Golden Girl, une orpheline (aucune référence à ses parents ou membre de sa famille) voit en rêve le désarroi de Solaria. Elle quitte sa tribu nomade et se dirige vers Argonia. Elle a appris à se défendre toute seule, lassée des moqueries qu’elle subissait, enfant, à propos de son épaisse chevelure blonde. Son surnom de “Golden Girl” vient de là. Durant le périple qui la mène au Palais des Joyaux, elle sauve Kroma et trouve un second fragment de la Gemstone. Bref, elle se retrouve finalement à la tête d’Argonia quasiment par hasard et y remplace Solaria. La haine de la Reine Dragon se dirige désormais vers elle. Alors qu’on le voyait arriver gros comme une maison, aucune idylle ne naitra entre Kroma et Golden Girl.
De jolies images à colorier, les seules à développer un tant soit peu l’univers Golden Girl, extraites de divers albums “Story to Color”. Faites chauffer les imprimantes !
Magie, combats, armes, trahisons, fomentations, démonstrations de puissance… à en juger par l’histoire et les dessins ci-dessus, JouéClub ne mentait donc pas lorsqu’il promettait le premier univers fantastique des petites filles. Mais en plissant les yeux une évidence apparaît, qui est certainement l’une des raisons du fiasco commercial des Aventurières d’Argonia. Là ou She-Ra, la Princesse du Pouvoir n’était qu’un équivalent féminin à Musclor, le monde de Golden Girl – dans son entièreté – n’était en fait qu’un complet négatif de celui des Maîtres de l’Univers. Un univers effectivement fantastique, mais peuplé en quasi totalité de femmes intrépides, et dans lequel toutes les valeurs étaient renversées : des amazones déterminées en armures parfois totales prenaient les décisions, dirigeaient des cités, agissaient pour le bonheur (ou le malheur) des peuples, organisaient des attaques de grande ampleur, mangeaient du poulet à la main en trinquant au picrate, s’adonnaient à de violentes courses de chars, utilisaient la magie noire pour appeler des hordes de titanesques monstres sous-marins… mais surtout, dominaient avec insolence les rares hommes en slip qui trainaient par là, véritables damoiseaux en détresse qui n’avaient comme seul fait d’armes que le fait d’avoir été sauvés par Golden Girl.
Là où un Skeletor gonflé à la pompe a vélo donnait des ordres à une sous-officière (la surlookée Evil-Lyn), la Reine Dragon avait trois coéquipières. Hiérarchie d’un côté, sororité de l’autre. Pendant que les bodybuildeurs coupés au bol des Maitres de l’Univers sauvaient une énième princesse en s’auto-congratulant, les filles d’Argonia attaquaient à 5 des navires entiers remplis d’hommes à moitié à poil, les dézinguant un à un avant qu’ils ne réalisent quoi que ce soit ! Amitié virile d’un côté, coopération implacable de l’autre. Alors que She-Ra apparaît avant tout comme “sœur de“, c’est par ses compétences et ses efforts que Golden Girl gagne sa crédibilité. Parrainage d’un côté, autonomie et indépendance de l’autre.
Mais ça n’est pas tout. En plus de la difficulté d’imposer un nouvel univers fantastique là où les Maitres de l’Univers existe déjà et ronronne en confiance, Galoob propose un univers codé garçon… à l’attention des filles. L’échec de la série Golden Girl s’explique alors également par les questions qu’il pose au genre.
Déjà, il semble évident que sans doute perçue comme trop violente pour les filles tout en étant trop “girly” pour les garçons, la ligne de jouets avait dès son lancement un pied dans le vide. N’oublions pas que nous sommes en 1985, en pleine période où culturisme et catch font loi, et même s’il s’agit, chose rare (unique ?), de poupées clairement bagarreuses dotées de double-haches, de tatouages, de cicatrices, de marteaux de guerre, de boucliers ou de katana, on imagine aisément les parents refusant en bloc d’être les témoins incrédules du spectacle décadent de leur fils s’amusant avec une simili-Barbie – armée ou pas – qu’il aurait piquée à sa sœur ! A l’inverse, difficile d’imaginer la fifille-qui-sera-acrobate éructer dans sa chambre pour venir à bout de la Reine Dragon, improbable gothique hirsute à triple couette rose totalement vêtue de cuir noir, ou pire : s’identifier à elle !
Galoob et Leisure n’en sont pourtant pas à leur coup d’essai en terme de figurines ou d’univers fantastiques/fantasy. A eux deux, ils sont à l’origine de licences importantes comme The A-Team (L’agence tous risques chez nous), G.I. Joe, Thundercats (Cosmocats) ou Blackstar, mais peu importe, en distribuant sans la moindre prise de risque les rôles et les genres, en séparant bien Musclor => pour les garçons et She-Ra => pour les filles, Mattel et ses Maitres de l’Univers ont été plus malins. Chacun sa place, chacun son genre, chacun SA figurine, et pas de vagues.
Une incroyable publicité annonçant le partenariat de Galoob avec d’autres marques abondait en ce sens et poussait le bouchon encore plus loin en y ajoutant une dimension quasi médicale. On y voyait simplement un petit portrait de Golden Girl avec au dessus, en énormes lettres capitales : “ACTION FIGURES HAVE UNDERGONE A SEX CHANGE” !! Les jouets d’action connaissent un changement de sexe ! Carrément ! En dessous, en minuscules, la réclame développe : “Jusque-là, les figurines d’action étaient pour les garçons. Mais il y a eu un changement de sexe. Cette année, les filles auront désormais pour elles une importante gamme de jouets d’action.”
Malheureusement, ce changement, aussi révolutionnaire soit-il, ne suffira pas à changer les mentalités. Par dessus le marché, le court-circuitage en règle organisé par Mattel, qui fait soudain apparaître She-Ra comme “gamme pour filles” des Maîtres de l’Univers, est fatal à Golden Girl qui se voit rapidement éclipsée par l’homologue féminin et sœur de Musclor. Sans grande surprise, le public (comprendre : les parents) préfèrera aux rudes Aventurières d’Argonia la “belle princesse du pouvoir“, “douce et délicate“, qui ne boit pas de vin, ne mange pas du poulet à la main, porte une jolie robe bien blanche… et vit dans l’ombre d’un homme.
La fameuse publicité évoquant un “changement de sexe” / le récit très girlpower illustré par Aristides Ruiz / deux superbes croquis de la Reine Dragon et son trône / des tests maquillage / les croquis pour la seconde série qui ne verra jamais le jour / quelques couvertures signées Ken Barr / les textes de présentation des méchantes au dos des boites françaises Orli Jouet / et enfin, la réincarnation de Valéria en Valkyrie, dans le Conan de Milius (1982), et ses équivalents “Argoniens”
Concurrence impitoyable et bien plus avancée de Mattel dont le marketing est beaucoup moins badass, projet original trop moderne jusque là jamais vu, qui autorise les petites filles à laisser s’exprimer – elles aussi – leur sauvagerie, confusions des genres qui provoque la réticences de parents déconcertés, lancement probablement trop ambitieux aussi téméraire que ses héroïnes… les raisons sont nombreuses, trop nombreuses pour de simples jouets, et c’en est trop : Galoob en est à peine aux croquis pour la seconde série de figurines (des croquis qui semblent d’ailleurs déjà en voie de “She-Ratification” !) qu’elle jette l’éponge et ferme définitivement les portes du Palais des Joyaux, deux petites années après leur ouverture… Galoob et Leisure ont ouvert une voie délicate. Mattel et son implacable machinerie s’y sont engouffrés.
Golden Girl, c’était la gamme de jouets qui murmurait aux oreilles des jeunes filles qu’elles n’avaient besoin de personne pour être plus fortes que tout, et exhortait aux garçons qu’il valait mieux qu’ils restent à leur place et en fassent un peu, de la place, tout en les invitant à pouvoir s’identifier, s’ils le voulaient, à des personnages pas nécessairement masculins. Parti-pris inédit, équilibre fragile mais viable, dans lequel tout le monde – les garçons, les frères, les filles, les sœurs – pouvait trouver son bonheur au sein d’un univers certes guerrier mais d’une surprenante égalité, bien plus ouvert, libre et nuancé qu’il n’en avait l’air.
Si elles apparaissaient aujourd’hui, on reprocherait probablement aux Golden Girls de faire du Feminist Washing. De voguer sur la mer des dollars portées par le vent de l’empowerment. Lorsqu’elles sont apparues il y a 33 ans, elles ont à peine eu le temps de se présenter qu’on leur a fait comprendre qu’elles n’étaient pas les bienvenues.
Finalement, comme les Amazones de Themyscira, Golden Girl, la Reine Dragon et toutes leurs sœurs et amies sont sans doute mieux là où elle sont, sur les terres d’Argonia, loin des regards. Là où personne ne viendra jamais leur dire ce qu’elles devraient faire, ni qui elles devraient être.
Illustration d’Aristides Ruiz