Games Workshop a récemment sorti une bande-annonce qui met ENFIN en scène les Soeurs de Bataille pour son jeu de stratégie futuriste avec des figurines Warhammer 40.000 (capture ci-contre).
Question comm’ et testo ils sont rodés et cette bande-annonce est un copié-collé de toutes les autres réclames vidéoludiques à destination d’êtres humains dotés d’appareils reproducteurs masculins : drama et musique qui montent crescendo, gros guerriers avec des gros pistolets *boumboum*, méchants de plus en plus menaçants puis à la fin, devant un ennemi gigantesque, les personnages foncent vers la caméra (les yeux de l’ennemi) et l’écran devient noir. Musique hyper martiale, belle voix, superbes animations, rien à dire…
Minimum syndical de la diversité, nous notons au tout début de la bande-annonce la présence d’une femme parmi la bleusaille Garde Impériale, chose qui n’était pas arrivée depuis 45 ans c’est à dire depuis la création du fameux studio de miniatures. Cependant – chaque chose en son temps – cette volonté de féminiser (le mot est fort) cet univers où la couille est reine semble d’autant plus curieuse que la bande-annonce ne fait pas l’impasse sur une spécialité qui, même si elle ne date pas d’hier, est l’apanage de la culture pop pour garçons. Inutile d’en faire un dessin, la traduction suffit, il s’agit des “Boobs Armor” – littéralement “Armures-tétés” – dans lesquelles sont moulés les seins de sa porteuse.
Si vous ne voyez pas trop de quoi il s’agit, c’est car les Boobs Armor sont tellement omniprésentes qu’on ne les voit même plus, au point qu’elles semblent devenues “naturelles”. Depuis longtemps on en trouve partout, tout le temps, de Valerian (la bd comme le film) à Thor Ragnarok en passant par les pulps comme Amazing Stories et consorts, les jeux de rôles, les films et séries comme Xena ou Wonder Woman ou les jeux vidéos, comme Diablo II, League of Legends ou Fortnite. Il est fascinant de constater que décennie après décennie, aucun de ces médias toujours plus populaires ne semble vouloir se défaire ni questionner ces armures moulées, devenues par la force des choses inhérentes à plusieurs genres : SF, Fantasy, Historique…
Les débuts des Boobs Armor ne remontent pas si loin que ça et si on en trouve début 19ème pour représenter Jeanne d’Arc, c’est surtout fin 19ème qu’elles semblent se démocratiser pour représenter les Valkyries, vierges guerrières de la mythologie nordique et personnages clefs de l’opéra L’anneau de Nibelung de Richard Wagner.
Suite à quoi au fil du 20ème siècle viendront bien vite les soutiens-gorge et bikinis de guerre, précédant les propos de Fanny Lignon, maître de conférences en cinéma-audiovisuel à l’université de Lyon, qui note que “dans le jeu vidéo World of Warcraft, quand les hommes augmentent de niveau, ils prennent en épaisseur. Quand les femmes prennent du galon, elles sont de moins en moins couvertes”.
Les premières armures moulées, apparues fin 19ème pour illustrer les Valkyries de l’Anneau du Nibelung de Richard Wagner
Mais pour commencer, ces armures moulées ont-elles seulement existé ?
Nous avons interrogé Clément Salviani, agrégé d’histoire et spécialiste de l’armement et pratiques militaires de l’Italie pré-romaine, et sa réponse est catégorique : “il n’existe aucune trace d’un tel équipement dans l’Antiquité. Les femmes étaient rarement armées et ne disposaient pas d’équipements genrés. Dans l’iconographie, même Athena porte peu ou prou les mêmes équipements qu’un homme. Quant aux Amazones, elles portent soit la panoplie hoplitique traditionnelle soit le costume des archers perses à partir du Ve siècle avant notre ère. Bref, ça n’existe pas.”
Propos confirmés par Adrienne Mayor, dans son livre Les Amazones, éditions La Découverte, 2017 : “Les archéologues ont découverts des exemples de cuirasse dorées en écaille dans des tombes de guerrières et de guerriers scythes”.
Adrienne Mayor revient à plusieurs reprises sur l’habillement des Amazones, notamment sur le pantalon qu’elles auraient inventé (avec l’enclume, rien que ça), et que les grecs avaient en horreur car il représentait tout ce qui était étranger dans la culture Barbare et Amazone. En effet, chez les Barbares, homme et femmes portaient exactement les mêmes vêtements et de nombreuses caractéristiques de cette tenue unisexe inquiétaient les Grecs car elle signifiait que les deux sexes se comportaient de la même manière et pratiquaient les mêmes activités.
Out l’Antiquité donc ! Bon… Au moyen-âge peut-être ?
Pierre Alexandre Chaize, docteur en histoire médiévale, est formel. Il “n’a jamais rencontré d’armures moulantes féminines dans les collections médiévales, vraiment jamais”.
L’armurier médiéval Ryan Consell va également dans ce sens à propos des armures moyen-âgeuses : “L’agencement et les articulations des armures de plates représentent le meilleur compromis qui soit entre mobilité et protection. De plus, notez que personne n’était nu sous son armure. Il y avait une tonne de matelassage entre le métal et la chair pour absorber l’énergie des coups. Une fois l’armure rembourrée en laissant de l’espace pour les mouvements, la silhouette du porteur était complètement gommée, et il existait au final assez peu de différences entre une armure de plates pour femme et une pour homme.”
Et Soline Anthore Baptiste, historienne moderniste spécialisée dans les tenues des chevaliers de surenchérir dans un article pour Mashable FR :
“Ces armures féminines n’ont rien d’historique et ne correspondent à aucune période connue. Dans les textes qui évoquent des femmes au combat, à savoir des chroniques médiévales, des romans ou des témoignages qui obligent à la prudence car les paroles ont été rapportées, on explique que les femmes portaient des armures de chevaliers. On se rendait compte de leur sexe quand elles se déshabillaient ou qu’elles étaient mortes. À ma connaissance, seul le plastron des Romains accentuait la forme des muscles abdominaux. Mais cela ne réduisait pas l’efficacité de l’armure”.
Pour couronner le tout question moyen-âge, une thèse de Matthias Goll – Iron Documents : Interdisciplinary studies on the technology of late medieval european plate armour production between 1350 and 1500 – recense quelque chose comme 5000 éléments d’armures médiévales, et pas un seul ne montre un quelconque détail fait pour souligner une poitrine féminine.
Côté historique on est donc fixé.
Et d’ailleurs oui tiens, admettons elles aient existé, quid de leur efficacité ?
Petit résumé concernant les miniatures médiévales. Dans les manuscrits médiévaux, les quelques femmes en armure présentent une armure standard (1) ou des robes combinées avec une armure visible couvrant les bras et la tête (2). Le torse de la robe affiche parfois le contour des seins (3) ou plus souvent, une légère courbe souligne quelque chose de plus (4) qu’un plastron ordinaire. Parfois, des morceaux d’armure sont visibles sous le textile (6). Dans “Le livre de femmes nobles et renommées” (1440) de Giovanni Boccaccio (Jean Boccace), on peut voir quelques images de chevalières (les deux grandes (et superbes) images de droite) dont l’armure semble avoir des seins, sauf qu’il s’agit bien plus probablement des rondelles de leurs spalières à rondelles, un élément d’armure fixé à l’épaulière au niveau de l’aisselle, qui protégeait des coups glissants depuis le heaume susceptibles de briser la clavicule.
Quelques exemples de l’évolution des Boobs Armor : les soutiens-gorges et bikinis de guerre
“Si on cogne contre une surface plate, le coup est à 100 %” explique Soline Anthore Baptiste, “mais si on s’en prend à une surface arrondie – et c’est bien pour ça que les plastrons ont une forme globulaire – le coup perd en puissance. L’autre problème est que souvent dans ces représentations, les femmes ne portent pas de vêtements. Historiquement, on n’a jamais mis une armure à même la peau, car il fallait préparer le corps et l’adapter à la forme globulaire de l’armure afin qu’elle ne soit pas gênante”.
Là encore, l’armurier Ryan Consell est raccord : “Une femme m’a demandé de fabriquer un plastron pour poitrine. Elle se bat avec et je crains en permanence qu’elle tombe violemment et que le plastron lui brise le sternum, malgré le rembourrage. Notez aussi qu’avec ce moulage de poitrine, ce plastron semble parfaitement conçu pour guider les pointes d’épées et les flèches vers son cœur.”
Ah d’accord. En plus d’être complètement fantasmées, les boobs armor sont de bien piètres protections. Pire, elles peuvent s’avérer dangereuses pour leur porteuse !
Alors ça ne semble rien comme ça, on pourrait se dire oh ben ça va, c’est juste la forme de deux seins, mais posons-nous deux secondes.
Peu importe qu’on la recrute pour ses compétences, peu importe qu’elle soit la plus fine tacticienne ou la force de frappe la plus implacable, ce n’est pas par son visage, ses mains, sa voix ou que sais-je que l’on découvre la présence d’une femme sous l’armure, mais simplement par… sa poitrine !
Qu’elle porte un casque ou pas, un élément visible semble nécessaire pour la ramener à son rang de femme. Digne d’un dessin d’un enfant de 5 ans qui gribouillerait “une madame”, la réponse nous saute aux yeux alors qu’on ne s’était même pas encore posé la question. Avant quoi que ce soit d’autre, la représentation nous donne cette information qui semble manifestement la plus importante : c’est une femme. (A ce propos, c’est également un gimmick récurrent de pas mal de films qui mériterait un article à lui seul : la découverte du sexe de l’opposant(e) comme plus grande surprise et élément perturbateur d’un combat)
Mais souligner ainsi le sexe c’est faire une distinction de genre. C’est tenir à ce qu’on ne soit pas tous dans le même panier. Souligner le sexe, en l’occurrence, c’est refuser l’égalité. Car la guerre et le combat ne sont pas l’affaire des femmes.
Toujours dans son passionnant Les Amazones, Adrienne Mayor évoque par exemple le choix de couleur utilisé par les artistes de l’antiquité pour représenter les femmes, sans les sexualiser mais simplement afin de les différencier et mieux les identifier : “Les représentations des Amazones apparaissent soudainement en grande quantité en 575-550 av. J-C. Sur ces vases peints à figures noires, on distingue les femmes par leur peau blanche – les femmes grecques restaient à l’intérieur tandis que les hommes bronzaient au soleil, faisaient de l’exercice, chassaient et combattaient. C’est un peu ironique dans le cas des Amazones, qui avaient les mêmes activités de plein air que les hommes. Mais cette convention artistique se révèle utile pour nous car elle nous permet de distinguer les Amazones des hommes Scythes sur les peintures où ils sont souvent habillés de la même manière”.
Et c’est ce qui fait toute la différence, car féminiser ainsi leur armure, sexualiser jusqu’à leur équipement permet de faire le distinguo : davantage que pour guerroyer, elles sont avant tout là pour faire joli. Elle peuvent prendre part aux combats mais sans renoncer pour autant à leur fonction érotique. La charge sexuelle d’un tel équipement est évidente, preuve en est le scandale provoqué par le bustier Franck Sorbier de la chanteuse Shy’m – moulé à même sa poitrine comme une version moderne de la Boobs Armor – lors des NRJ Music Awards en 2012, qualifié de “hot”, “sexy”, “audacieux”, “aguichant” et “osé”… Cette affaire du bustier à fait couler tellement d’encre qu’elle a inspiré à la chanteuse la chanson “Et Alors ?“.
Un article du parisien de l’époque titre carrément “Sh’ym, ses seins, son armure“ et commence ainsi “Chrysalide fragile ou indigène de marbre, Shy’m, dont les seins trônaient sur son buste comme une armure, a été audacieuse pour son passage sur le tapis rouge des NRJ Music Awards samedi à Cannes”.
Viriliser, désexualiser, “déféminiser” cet uniforme, de fait, reviendrait à les accepter comme des égales, dont seules les compétences importent. Mais une femme doit rester une femme, même en pleine bataille.
Les trois Jeannes : Ophélie Winter, Juliette Armanet et Catherine Jourdan par les merveilleux Pierre et Gilles.
Les Boobs Armor ne sont donc pas censées protéger les seins des guerrières (sic) comme j’ai pu le lire ici et là – si c’était le cas on verrait des armures à testicules – mais sont simplement une façon d’identifier rapidement les porteuses en les rendant sexy dans la foulée. Aussi, l’insistance mammaire des armures semble nous dire que toutes guerrières qu’elles soient, n’oublions pas que ce sont d’abord, donc, des femmes, et par extension, des mères. Dans la culture populaire, le concept de “maman ou putain” n’est jamais très loin quand il s’agit de représenter les femmes.
Enfin, pendant longtemps, et encore beaucoup aujourd’hui, c’est à des hommes qu’on demande de représenter des femmes… à l’attention d’un public masculin. Comme l’enfant de 5 ans cité plus haut, il doit leur sembler logique d’ajouter des seins pour bien voir que c’est une femme.
Cependant – et rappelons-nous l’émoi qu’ont récemment suscités les armures non genrées de Brienne de Thorth dans Game of Thrones – certaines œuvres n’ont bien sûr pas recours à ces Boobs Armor, et ce depuis longtemps (exemples ci-contre).
Sheila par Jean-Marie Périer
Star Wars, Game of Thrones, Gears of War, The Elder Scrolls, ou les derniers Assassin’s Creed qui proposent de jouer au choix un personnage féminin ou masculin sans pour autant avoir deux styles d’équipements différents… Depuis quelques années – et davantage depuis l’affaire Weinstein – on assiste au sein de la culture pop mainstream à un retour réel d’armures efficaces pour femmes, qui délaissent le sexy au profit de la performance et du bon sens.
Dans les années 90, suite à une sorte de mouvement de joueur.se.s pour davantage “d’armures féminines raisonnables” dans les jeux de rôles – preuve que le problème ne date pas non plus d’hier – Dragon Magazine avait publié un dessin humoristique. On y voyait une femme en armure bikini, 5 ou 6 flèches plantées PILE dans l’infime partie protectrice de son bikini. Le dessin était légendé “Heureusement que j’avais mon armure !“. Impossible de retrouver l’original, mais celui d’au dessus – sous un autre angle – illustre assez bien la boutade.
Soline Anthore Baptiste résume tout ça très simplement : “Une armure, c’est comme un ange : ça n’a pas de sexe. Elle n’est ni masculine, ni féminine, elle est juste là pour protéger les corps.”
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Merci à Sixtine, Rachel et Mathilde, le trio de choc, pour la relecture !
La bannière est un extrait de l’affiche de Blanche-neige et le chasseur (2012).