Très discret lors de sa diffusion en salles, Assassination Nation a tout pour devenir un film culte, sa sortie correspondant en plus – amère ironie – aux révélations du scandale Weinstein. Pour nous, c’est le film qu’on attendait depuis longtemps, qu’on espérait sans trop y croire, mais qu’on n’a pourtant pas du tout vu venir !
Lily Colson et ses trois meilleures amies sont accro aux réseaux sociaux, selfies, emojis, snapchats et sextos. La toile n’a plus le moindre secret pour elles. Mais le jour où la ville se retrouve victime d’un piratage informatique, les données personnelles et la vie privée des habitants éclatent au grand jour. Accusée d’être à l’origine de ce leak gigantesque, Lily s’apprête à vivre la nuit la plus cauchemardesque de son existence : les habitants, dont tout le monde connait maintenant le vrai visage, vont alors se masquer pour la traquer et l’assassiner, elle et ses amies.
Le nom de la ville, Salem – à peine évoqué dans le film – nous fait comprendre qu’Assassination Nation n’est donc à priori qu’une chasse aux sorcières 2.0.
Mais passé une intro un peu tape-à-l’œil (à l’image du marketing du film) qui nous pousse à croire qu’on va assister à un teen movie lolita-choc stylisé, on se rend vite compte que la vraie chasse aux sorcières du métrage n’est pas là où on l’attend. Car les habitants de Salem vont rapidement réaliser que nous sommes en 2018, et que les jeunes filles ne sont peut-être plus comme ils ont toujours voulu qu’elles soient.
Sam Levinson va alors retourner la crêpe d’un coup et se rapprocher davantage des Monstres de Maple Street de la Quatrième Dimension, envoyant méthodiquement brûler sur son bûcher en forme de film les pires maux de notre ère dans un enchainement éprouvant, extrêmement précis et intelligent : slut/body-shaming, homophobie, misogynie, sexisme, transphobie, masculinité, cyberharcèlement, adultère tendance pédophile, inceste, viol, effet de meute, armes à feu… Rien n’est épargné !
Cité, ou plutôt raillé de façon hilarante au milieu de ce survival féministe enragé (et engagé), même le tristement fameux #notallmen y passe – prononcé en plus à l’attention de Bex, l’émouvante ado transsexuelle de la bande – après une scène de Last Stand digne du final de La Horde Sauvage. L’une des héroïnes ira jusqu’à prononcer le fameux “Let’s go” du film de Peckinpah, mais de façon brillamment inversée, une fois le gunfight terminé. Si les clin d’œils sont nombreux : Argento lors de l’intro et du plan séquence immobilier très “Ténèbres”, le Western, le genre Sukeban… ils sont une fois encore utilisés avec cohérence et intelligence.
Le dernier plan des 4 protagonistes du film ne laisse aucune place au doute : c’est bien d’une guerre des sexes dont il s’agit et le camp des femmes, suite au discours de Lily sur les réseaux sociaux, qui énumère les injonctions qu’elle reçoit depuis sa naissance et qu’elle refuse désormais, est solidaire et a pris les armes. Mieux, elles les ont volées à l’oppresseur pour les retourner contre lui.
Le film se clôt sur un générique de fin poignant et écrasant de beauté : au petit matin, une fanfare, la Jackson State University Marching Band, fait irruption comme par magie et interprète à toute blinde un tonitruant chant de la victoire – We Can’t Stop de Miley Cyrus, ici en sœur martyre de la Britney Spears de Spring Breakers – en déambulant au milieu des ruines fumantes de cette banlieue résidentielle, symbole simple et efficace de ce qu’il reste d’une Amérique hystérique, blanche et macho devenue totalement schizophrénique.
En tête de la fanfare, c’est une majorette noire couronnée et habillée d’or qui donne fièrement le rythme, comme une ultime sommation au spectateur qui n’aurait pas compris que les choses ont changé.
C’est notre maison et nous pouvons aimer qui nous voulons
C’est notre chanson nous pouvons chanter si nous voulons
C’est ma bouche je peux dire ce que je veux
C’est notre maison
Ce sont nos règles
Et on ne peut pas arrêter
Et on ne va pas arrêter
Ne vois-tu pas que la nuit nous appartient
Ne le vois-tu pas, nous qui affrontons cette vie
Et on ne peut pas arrêter
Et on ne va pas arrêter
Miley Cyrus – We Can’t Stop
ASSASSINATION NATION
de Sam Levinson
Avec Odessa Young, Suki Waterhouse, Hari Nef, Abra, Bella Thorne
Sorti le 10 avril en DVD et Blu-Ray, 14,99 ou 16,99 euros.